Traumas dentaires et orthodontie

  • Publié le . Paru dans L'Orthodontiste n°5 - 15 décembre 2017
Information dentaire
Les traumatismes faciaux impliquant les dents sont de plus en plus nombreux et impactent les traitements d’orthodontie. Nous avons fait le point avec le Docteur Chantal Naulin-Ifi auteur de l’ouvrage : Traumatologie clinique : de la théorie à la pratique (Espace Id, 2016) sur la prise en charge des dents traumatisées et les précautions à respecter lors d’un traitement orthodontique ultérieur.

Propos recueillis par Marie-José Boileau

Quelle prise en charge immédiate pour une dent permanente luxée recommandez-vous ?

Les traumatismes de luxation engendrent diverses situations cliniques et des dommages plus ou moins considérables au tissu pulpaire et au ligament parodontal. Deux facteurs sont décisifs : le degré du traumatisme et la maturité de la racine. La nécrose pulpaire, si elle survient, génère une résorption inflammatoire. Les fibres desmodontales peuvent être dilacérées et/ou écrasées générant une ankylose ou des résorptions de remplacement. Le repositionnement de la dent dans sa position physiologique est le facteur essentiel à une bonne réparation pulpaire surtout si la dent est immature. Pour ce faire, il suffit de se référer aux recommandations de l’IADT [1] qui détaillent la prise en charge adaptée. Dans le cas de luxation extrusive, la dent est repositionnée digitalement. Pour les luxations latérales, la dent peut être immobile, bloquée dans son alvéole et l’apex dentaire peut avoir perforé l’os alvéolaire vestibulaire. Il faut la débloquer avant de la repositionner. En cas de fractures radiculaires, le fragment coronaire est repositionné et considéré comme une dent luxée. Pour les impactions, le traitement est dépendant de la maturité de l’apex de la dent traumatisée et du degré d’impaction. Il est possible d’attendre la ré-éruption spontanée dans les cas de déplacements inférieurs à 7 mm pour les dents immatures et à 3 mm pour les dents matures. Le repositionnement passif est associé à moins de complications pulpaires et parodontales. La traction orthodontique est indiquée en l’absence de mouvement de la dent dans les deux à quatre semaines après l’accident [2] ou en présence de déplacements plus sévères (de 3 à 7 mm des dents matures et supérieurs à 7 mm pour les dents immatures). La traction chirurgicale peut être envisagée en cas d’échec de la traction orthodontique ou immédiatement lors d’un déplacement important (supérieur à 7 mm) de la dent mature [3]. L’impaction est assurément le traumatisme de luxation le plus sévère pour le tissu pulpaire et le ligament parodontal. La pulpe se nécrose toujours pour une dent mature, il faut donc permettre l’accès palatin nécessaire à la réalisation du traitement endodontique.
 

Quelle contention faut-il mettre en place après un repositionnement manuel ?

Idéalement, les dents déplacées doivent être repositionnées le plus rapidement possible. La contention doit assurer le maintien de la dent dans sa position initiale, être passive, biocompatible, atraumatique, permettre l’hygiène bucco-dentaire, la réalisation des tests lors du suivi et les éventuels traitements endodontiques. La contention doit être flexible pour permettre une certaine mobilité physiologique de la dent. Il n’y a pas de bénéfice à étendre la contention au-delà d’une dent (non traumatisée) de chaque côté [4], voire deux si les dents proximales sont des dents temporaires ou s’il y a plusieurs traumatismes associés. Augmenter le nombre de dents augmente la rigidité [4].
La contention peut être réalisée avec un arc orthodontique de faible section collé avec un composite, à condition qu’il soit parfaitement passif. La « titanium trauma splint (Medartis®) » est une contention préfabriquée, flexible dans tous les sens qui se façonne facilement sur les dents avec une pince bec d’oiseau. La durée de la contention est fonction du type de traumatisme (tableau 1).



 

Comment diagnostiquer une fracture alvéolaire associée ? Modifie-t-elle la prise en charge immédiate et précoce ?

Les fractures de l’os alvéolaire prédominent dans la région incisive supérieure antérieure et touchent généralement plusieurs dents, elles sont souvent associées à des luxations ou à des expulsions. La palpation permet d’identifier la zone de fracture et la mobilité anormale du soutien alvéolaire est retrouvée lorsque les dents sont examinées. Cliniquement, il existe un déplacement des fragments avec le plus souvent, une perturbation de l’occlusion. De plus, la mobilisation d’une dent entraîne celle de plusieurs dents contenues dans le fragment osseux. A l’examen radiographique, le trait de fracture peut passer entre deux apex, mais le plus souvent touche les alvéoles. Dans ces cas, une luxation dentaire concomitante ou des fractures radiculaires sont fréquemment retrouvées.
L’ IADT recommande de maintenir une contention flexible pendant 4 semaines.
 

Dans quel cas faut-il envisager  un traitement endodontique ?

Le traitement endodontique ne sera effectué que si la nécrose du tissu pulpaire est avérée.
Elle peut survenir d’emblée lorsque le traumatisme est à l’origine de la section du paquet vasculo-nerveux sans possibilité de revascularisation pulpaire. Elle survient entre 15 et 52 % des cas après luxation.
Deux facteurs sont primordiaux : la sévérité du traumatisme et le stade de développement radiculaire [5].
Le diamètre apical, associé au stade de développement radiculaire, est un facteur prédictif de la nécrose pulpaire. La survenue de nécrose pulpaire est significativement corrélée au diamètre apical (inférieur à 0,7 mm ou supérieur à 1,2 mm) [6, 7] (tableau 2).



 
La santé pulpaire est estimée par des tests thermiques (froid, chaud) ou électriques. Ces derniers ne sont pas fiables dans les cas de dents immatures. Ces tests sont dits de « sensibilité pulpaire » et renseignent sur la fonction nerveuse et non sur la vascularisation pulpaire. Plusieurs études ont montré la non-corrélation entre l’état pulpaire et la réponse aux tests. Un test positif le jour du traumatisme prédit un meilleur pronostic de survie pulpaire. Un test négatif est dû à une perte de l’excitabilité nerveuse (tensions, compressions voire une rupture des fibres nerveuses de la région apicale lors du traumatisme) et le retour à une réponse positive peut prendre quelques mois voire plus.
Lors du suivi, le traitement endodontique sera effectué après examens clinique et radiologique (arrêt de l’édification radiculaire pour une dent immature ou résorptions inflammatoires radiculaires).
 

Après un traumatisme sur les dents temporaires quelle surveillance doit-on mettre en œuvre pour les dents permanentes ? Quelle conduite à tenir en cas de troubles de l’édification radiculaire ?

Les traumatismes en denture temporaire touchent majoritairement les incisives maxillaires. Ils peuvent être responsables de complications sur les dents temporaires elles-mêmes : dyschromies, résorptions radiculaires, perte prématurée. Ils peuvent également entraîner des séquelles sur les germes successionnels en développement. Les facteurs essentiels sont le traumatisme et le jeune âge de l’enfant degré de maturation du (des) germe(s). Plus l’enfant est jeune, plus la proximité entre l’apex de la dent temporaire et les germes des dents permanentes est grande. Il est donc nécessaire de surveiller le développement des germes pouvant être concernés. Les impactions et les expulsions sont les traumatismes les plus fréquemment associés à une atteinte des dents permanentes.
 
Les séquelles touchent le plus souvent la couronne de la dent permanente successionnelle allant de la simple dyschromie à la dilacération. La dilacération correspond à un changement de direction brutal de la portion coronaire par rapport au grand axe de la dent. Les séquelles post-traumatiques touchant la partie radiculaire des dents permanentes sont moins fréquentes et surviennent chez l’enfant plus âgé (la couronne de la dent permanente ayant achevé sa minéralisation vers 3 ans). On observe des arrêts de l’édification radiculaire, des dédoublements/duplications radiculaires, des angulations radiculaires, des dilacérations radiculaires. La déviation, qui peut dans ce cas se faire en direction vestibulaire ou latérale, touche la partie radiculaire de la dent. Leur prise en charge est généralement complexe et multidisciplinaire. On observe également des séquestrations du germe et une formation d’odontoïdes qui nécessitent toutes deux l’extraction de la dent permanente.
 

Quel est le pronostic des dents traumatisées ? Quels sont les risques lors d’un traitement orthodontique ultérieur ?

Avant d’entreprendre un traitement orthodontique, il est impératif de vérifier l’état pulpaire et parodontal de la (des) dent(s) traumatisée(s). Le traitement orthodontique pourra être mis en œuvre, sous réserve que les dents ne soient pas ankylosées. Toutefois, il faudra envisager d’appliquer des forces plus légères, notamment si des mouvements radiculaires sont envisagés (ingression, torque). Pendant tout le traitement, l’orthodontiste doit rester vigilant et se rappeler que les traumatismes dentaires augmentent les risques de nécrose et de résorptions radiculaires post-orthodontiques. Un suivi clinique et radiographique doit être réalisé avant, pendant (environ tous les 6 mois) et après le traitement orthodontique. Il est parfois nécessaire de faire des compromis et de ne pas atteindre la perfection.
Si le traumatisme survient au cours du traitement, l’orthodontiste devra faciliter l’accès aux soins d’urgence, en déposant l’arc et éventuellement, certaines attaches. Les déplacements dentaires de(s) la dent(s) concernées(s) ne pourront reprendre qu’après une pause dont la durée (généralement 1 à 3 mois) dépendra du type et de la sévérité du traumatisme.
 

Les traumatismes alvéolo-dentaires sont très nombreux, les orthodontistes ont-ils un rôle à jouer dans la prévention ?

En denture temporaire, une prévalence moyenne de 30 % est classiquement évoquée. En denture permanente, un enfant sur deux est victime d’un traumatisme le plus souvent entre 8 et 12 ans [1]. Une occlusion de classe II division 1 augmente les risques de traumatismes alvéolo-dentaires. Un surplomb incisif de 3-6 mm en double la fréquence, qui est encore augmentée s’il est supérieur à 5-6 mm. L’incompétence labiale qui est le plus souvent associée, aggrave la situation. Ainsi, les enfants respirateurs buccaux qui n’ont pas de contact bilabial au repos sont plus exposés aux traumatismes alvéolo-dentaires. L’hypodivergence faciale est également décrite comme facteur aggravant. Un traitement interceptif en dentition mixte diminue les risques de traumatismes alvéolo-dentaires sur les incisives supérieures.

En conclusion, un traitement orthodontique peut parfaitement s’appliquer à des dents permanentes traumatisées à condition qu’elles ne soient pas ankylosées. Il est une partie intégrante du plan de traitement et contribue au bon pronostic [8]. Il faut simplement s’assurer que les soins d’urgence ont été réalisés selon les recommandations de bonnes pratiques, effectuer un suivi clinique et radiologique régulier pendant toute la durée du traitement et surtout appliquer des forces raisonnées.

Merci beaucoup, Docteur Naulin-Ifi pour toutes ces informations.

Chantal Naulin-Ifi – Bio Express

• Docteur en Chirurgie Dentaire
• Docteur en Sciences Odontologiques
• Docteur d’Etat en Odontologie
• Lauréate de l’Académie Nationale de Chirurgie Dentaire
• Maître de Conférence honoraire des Universités
Paris 7 Denis Diderot
• Ancien responsable sous-section d’odontologie pédiatrique
Université Paris 7- Denis Diderot
• Exercice libéral exclusif en odontologie pédiatrique
• Chevalier dans l’ordre des Palmes Académiques

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