L’ombre d’un règlement arbitral, forcément arbitraire

  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire
Information dentaire
Les négociations conventionnelles se sont arrêtées net le 19 janvier dernier, avant même leur terme prévu le 20 janvier. Les nouvelles propositions de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM) ont été repoussées par les trois syndicats dentaires.
L’Assurance maladie proposait une revalorisation de 807 millions d’euros sur les soins, forfaits CMU, etc., et des plafonnements à hauteur de 465 millions d’euros. La FSDL qui, comme la CNSD, avait déjà quitté la table des négociations le 6 janvier dernier, estime que « les nouvelles propositions de la CNAM confirment l’entêtement et le refus catégorique de toute politique ambitieuse tournée vers l’avenir ». « L’Assurance maladie oublie de dire que seulement 34 % des actes de soins sont revalorisés sur une période de quatre ans, alors que l’effort demandé à la profession porte sur 82 % du périmètre prothétique, dont la majeure partie sera concentrée dans les deux premières années. Autrement dit, la profession commencera par perdre avant d’espérer », se désespère la CNSD. L’Union dentaire, seule présente à la séance de discussion, s’était d’emblée opposée à des plafonnements aussi massifs sans suffisamment « d’espaces de liberté tarifaire ».

Le processus d’arbitrage est enclenché

Le directeur de la CNAM a donc mis fin à la négociation, enclenchant, de fait, le processus de règlement arbitral souhaité par Marisol Touraine et entré en vigueur avec la publication de la loi de Financement de la Sécurité sociale fin décembre 2016, au beau milieu des négociations entamées deux mois plus tôt. Son article 75 prévoit « qu’à défaut de signature au 1er février 2017 d’un avenant à la convention nationale des chirurgiens-dentistes, un arbitre arrête un projet de convention dans le respect du cadre financier pluriannuel des dépenses d’assurance maladie ». Cet arbitre est désigné par l’Union Nationale des Caisses d’Assurance Maladie (UNCAM) et au moins une organisation syndicale représentative des chirurgiens-dentistes avant le 1er février 2017 ou, à défaut, par le Haut conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie, sur proposition du directeur général de l’UNCAM. Dès le 20 janvier, l’UNCAM a fait savoir aux syndicats que l’arbitre serait Bertrand Fragonard, magistrat à la Cour des comptes et surtout fin connaisseur des affaires sociales et de la santé. Au cours de sa carrière, il a géré les principales institutions de ces secteurs : Caisse Nationale des Allocations Familiales (CNAF), CNAM, Haut conseil de la famille et… Haut conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie. Aucun des trois syndicats n’a validé ce choix. « Lui ou un autre… glisse Philippe Denoyelle, président de l’Union Dentaire. Ce n’est pas un problème d’arbitre. Le problème c’est la procédure d’arbitrage elle-même. » Cet arbitrage a toujours été un revolver braqué sur la tempe des représentants syndicaux. « Sans cela, sans ce calendrier contraint, avec quelques mois de négociations supplémentaires, peut-être serions-nous arrivés à un accord, estime Catherine Mojaïsky, présidente de la CNSD. Mais la volonté, uniquement politique, de la ministre a tout chamboulé. Elle pense sans doute que contraindre les chirurgiens-dentistes avant les élections est bénéfique pour elle. »

Résilier la convention ?

L’arbitre a un mois pour consulter toutes les parties et transmettre un projet de règlement arbitral à la ministre. Ce règlement pourrait donc être publié au Journal officiel au début du mois de mars. Ou avant. « Je serais étonné qu’un projet de règlement n’existe pas déjà chez les conseillers de la ministre », note Philippe Denoyelle. Le texte reprendra en partie les propositions négociées lors des négociations, « mais devrait être globalement inférieur au dernier projet présenté par la CNAM, présume Catherine Mojaïsky. En revanche, il ne devrait pas toucher à ce qui a été négocié hors des tarifs des soins et des plafonnements comme les mesures incitatives à l’installation, la prise en charge des patients diabétiques ou handicapés, ou le régime PCV (prestations complémentaires vieillesse) ».
Pour échapper à ce règlement arbitral, l’Union dentaire croit avoir trouvé la parade : résilier la convention, celle de 2006, toujours en vigueur. Si celle-ci tombe, l’avenant et le règlement s’effacent avec elle. Pour résilier, rien de plus simple, une lettre recommandée avec avis de réception envoyée à la CNAM suffit. Mais elle doit être paraphée par les deux syndicats signataires de la convention. L’Union dentaire appelle donc la CNSD à signer avec elle la lettre de résiliation. « Le texte conventionnel de 2006 prévoit que la résiliation est possible « en cas de modifications législatives ou réglementaires affectant substantiellement les rapports entre les organismes d’assurance maladie et les chirurgiens-dentistes », explique Philippe Denoyelle. C’est le cas justement avec l’introduction du règlement arbitral par l’article 75 de la loi de financement de la Sécurité sociale. La résiliation serait un acte politique fort de la profession en réponse à un acte purement politique de la ministre. » La CNSD n’a pas encore officiellement répondu (au 24 janvier) et fait travailler ses juristes.

Une semaine de mobilisation

Aujourd’hui, le règlement arbitral tel qu’il se profile est attaquable devant le Conseil d’État et devant le Conseil constitutionnel par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité (le Conseil constitutionnel a validé la Loi de financement de la Sécurité sociale sans être précisément saisi sur l’article 75). Or, si la convention est résiliée, il faudra rapidement en négocier une nouvelle, forcément sur la base de ce qui vient d’être proposé par l’Assurance maladie. Sans accord des syndicats, un règlement arbitral s’appliquera et celui-ci ne pourra être contesté… « Nous attendons d’en savoir plus, modère Catherine Mojaïsky. Mais si le règlement s’applique, soyez sûr que nous l’attaquerons. Et, quoi qu’il arrive, ce sera au gouvernement d’assumer. » Depuis plus d’une semaine, externes et internes des hôpitaux sont en grève, tout comme les étudiants en dentaire. Soutenus par les enseignants, la conférence des doyens et les syndicats, ils manifestent leur mécontentement dans la rue en attendant la mobilisation générale de la profession et de ses composantes, syndicats, assistantes dentaires, prothésistes, pour la grande manifestation du 27 janvier à Paris devant le siège de la CNAM.

Thèmes abordés

Commentaires

Laisser un commentaire

Sur le même sujet

Politique de santé

SESAM-Vitale en chiffres

En 2023, 404 576 professionnels de santé libéraux ont facturé en SESAM-Vitale (contre 395 093 en 2022). 1,33 milliard de FSE (Feuilles de soins...
Politique de santé

Fraudes sociales : les centres de santé dans le viseur du gouvernement

« Pour la première fois, nous avons dépassé la barre des 2 milliards d’euros de fraude sociale détectée en une année », a annoncé...
Politique de santé

7,4 millions de bénéficiaires de la C2S

Depuis 2019, année de la fusion de la CMU-C et de l’ACS, les effectifs de la C2S, née de cette fusion, poursuivent leur progression...
Politique de santé

Lieux d’implantation des cabines de téléconsultation : la HAS fixe les règles

Après la polémique suscitée en novembre dernier, par la proposition de la SNCF de mettre en place dans 300 de...
Politique de santé

Assistants médicaux : objectif 10 000 en 2024

6 000 contrats d’assistants médicaux ont été signés depuis leur création en 2019, se félicite l’assurance maladie fin janvier. Elle en espère...
Politique de santé

Le Parlement européen vote la suppression des amalgames dentaires dans l’UE à compter du 1er janvier 2025

Le Parlement européen a adopté le 17 janvier, en première lecture, la proposition de règlement de la Commission européenne visant...